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«Mes parents, riches bourgeois très stricts, m’avaient empêchée de poursuivre toutes les études que j’avais commencées sous prétexte que j’étais une fille et que l’avenir des filles était le mariage. Et, de surcroît, il fallait que j’épouse seulement un homme qui leur convienne. J’ai résisté mais ils menaçaient de me mettre à la porte si je ne me soumettais pas à leurs vœux ; alors, début 1968, je suis partie de la maison pour faire une année de bénévolat le temps de me laisser réfléchir. J’aidais des sœurs catholiques dans une institution de Fribourg à s’occuper d’enfants handicapés mentaux. Lors d’une sortie entre filles un après-midi de congé, un homme m’a violée alors que j’étais encore mineure et il revenait souvent tourner autour de moi.

J’étais contente de me rendre utile dans cet internat ; tout s’y passait bien jusqu’à ce jour d’avril 1968 où l’une des sœurs catholiques m’a appelée dans le bureau de la principale. Elle me dit que mon père m’ordonnait de le rejoindre à Lausanne. Il m’y attendait à la gare dans sa Mercedes blanche ; nous sommes arrivés peu de temps devant un immeuble. Devant la porte d’un appartement où mon père a sonné, j’ai pu lire : Dr. X, psychiatre. A ma surprise, ma mère était là dans la salle d’attente, aurait-elle un problème ? Et nous attendons, nous attendons très longtemps, si longtemps que papa était obligé de partir au travail. Après deux heures d’atermoiement, le médecin nous a fait entrer, ma mère et moi. Debout face au docteur, un homme mûr, assis devant son bureau ; je lui ai demandé, plutôt agacée par le temps perdu, pourquoi nous étions là. L’homme fâché de se voir interrogé par la gamine qui lui faisait face, m’a répondu d’un air hautain : ‹Mademoiselle, si vous n’êtes pas contente, vous pouvez rentrer ; mon assistante sociale qui est là (il me l’indique du doigt) va vous ramener chez vous.› Trop contente, j’ai accepté, et, laissant ma mère au toubib, je suis partie avec la dame.

L’assistante sociale m’a emmenée dans sa petite voiture en direction de la maison familiale. A un moment, elle a fait un détour et est arrivée devant un établissement, ressemblant à un hôpital, où elle s’est arrêtée. J’ai pensé qu’elle avait sans doute à faire pour son travail ... je lui ai demandé si je pouvait l’attendre dans l’auto; ‹non, suivez-moi› a-t-elle répondu. Confiante, je l’ai accompagnée dans un long couloir vitré et nous avons franchi une porte qui a été verrouillée derrière nous. On m’a poussée jusqu’au bureau de la réception où mes valeurs et mes habits m’ont été retirés. On m’a ensuite passé une longue chemise blanche. Soudain j’ai compris que j’étais piégée et que l’on m’internait ! Pétrifiée, j’ai été conduite au travers d’un long corridor sombre vers un énorme dortoir où un lit m’a été désigné comme étant le mien. Je me suis effondrée en sanglots sur le matelas. Comment a-t-on pu me faire ça ? Suivent d’innombrables jours de questionnements en tant qu’internée. Suis-je folle ? Si au moins je savais pourquoi on m’inflige cette sanction. J’ai entendu une jeune institutrice, me raconter une de ses actions démentes qui justifiaient sa présence dans ces murs mais moi ? Je n’étais qu’une bénévole sans problème ! Si au moins j’avais commis quelque méfait, je comprendrais ma mise à l’écart et j’aurais alors préféré la prison. Selon moi, seuls les fous dangereux pouvaient être internés par un juge. Je commençais à douter de ma santé mentale, je devais avoir une maladie grave que je ne connaissais pas. Les jours suivants, je n’avais d’autre occupation que d’examiner la vie de cette maison dite de ‹fous›. Non sans étonnement, je n’y ai vu que des personnes bien malheureuses et, hormis la découverte sur les toilettes d’une femme obèse qui ne voulait plus en partir et qui a dû en être évacuée par des forts à bras, j’ ai vu des cas plus graves dehors. Les soignants eux, étaient davantage des matons sans connaissance en psychologie car je voyais qu’ils avaient peur de nous, les internées ; les infirmières ne nous parlaient pas, les infirmiers, des costauds, servaient seulement à faire avancer les personnes qui ne le voulaient plus.

La section de cet asile, qui n’était pour moi qu’une prison, n’était pas mixte. Les repas se prenaient à une longue table où je devais me coincer sur un banc entre des femmes rendues obèses par la camisole chimique et le manque de mouvements. Chaque fois que venait le moment de la distribution obligatoire de médicaments (la fameuse contention chimique moderne !), comme je ne n’avais aucune explication, finaude, je faisais semblant d’avaler le comprimé mais je le retenais au creux des joues et allais le recracher plus tard faisant mine d’aller aux toilettes. Pourtant, cette pilule n’est pas passée pour le restant de ma vie ! Après les repas, les internées devaient faire elles-mêmes la vaisselle et la ranger.

Si les journées y étaient infernales de non-sens, les nuits, elles, allaient le devenir encore davantage quelque temps plus tard. A l’aube d’une journée, un infirmier est venu me sortir du lit alors qu’il devait être cinq heures. Il m’a demandé de le suivre pour rejoindre un petit groupe de femmes, toutes aussi en chemises de nuit, avec qui nous avons monté un escalier comme des fantômes. Il nous a fait entrer dans une salle dont les lits étaient séparés par des rideaux. J’ai dû me coucher dans un des ces lits. Peu après un médecin m’a administré une piqûre qui allait m’envoyer dans un sommeil profond. Au réveil, quelqu’un m’a apporté gentiment un copieux petit-déjeuner.

Ces scènes allaient se reproduire un nombre incalculable de fois. J’ai su par la suite que l’on m’injectait de l’insuline sans m’en donner la raison ou alors, sous couvert de raisons médicales. Des années plus tard, j’ai appris que ces injections, trop dosées, sont mortelles et que deux de ces cobayes y avaient laissé leur vie. A la suite, ces essais ont été interrompus. Les consultations psychiatriques n’ont été que très rares, et inutiles puisque le docteur était de parti pris dans ce système. Mes parents ont été convoqués une fois. Leurs visites ont ensuite disparu. Une de mes tantes est cependant venue me voir. Quel plaisir de ne plus se sentir pestiférée pendant quelques heures, le temps là-bas y était si long et l’angoisse si profonde !

Comme l’unité était fermée, les internées ne voyaient le ciel qu’autour du centre psychiatrique, encadrées par le personnel. L’espace verdoyant, la vue magnifique sur le lac, je ne pouvais en jouir, tant ma révolte et mon chagrin étaient grands devant la trahison et l’injustice qui m’avaient été faites. Pourquoi étais-je internée ? Mon honneur était bafoué pour rien dans cet asile où je j’ai passé mai 68 et où je ne savais rien du monde extérieur qui, lui aussi, mais en liberté, se révoltait. Un dimanche j’ai eu le droit d’aller seule dans l’église adjacente au centre et là, une grande paix m’a envahie comme si le Ciel me comprenait.

Quelques jours avant mes vingt ans, l’âge de la maturité alors en Suisse, on m’a appris que j’allais bientôt sortir. L’insuline m’avait fait prendre une dizaine de kilos. Je me sentais bouffie, mais le pire était d’avoir perdu toute confiance en moi, le cerveau comme lessivé. Si les internements justifiés conduisent souvent à la psychose, dite carcérale, à plus forte raison un internement abusif. Une fois rentrée à la maison, j’ai vu mes parents sous un angle que je ne leur connaissais pas, j’avais la haine contre ces tyrans qui m’inspiraient désormais de la terreur. Ils avaient porté gravement atteinte à mon intégrité psychique. Ils ont tous instillé une terreur profonde et tenace de ce pays. J’avais grandi en France et en Espagne. La Suisse, ma patrie, me recevait avec des barbelés qui m’ont stigmatisée à jamais.

Chez mes parents, aucun suivi psychologique de soutien ne m’a été offert. De plus, j’ai dû fuir la maison où je n’étais plus accueillie. Mais au moment de faire un curriculum vitae, j’avais peur de ne pas pouvoir travailler à cause de cet internement. J’ai donc été obligée de cacher cette monstrueuse vérité, stigmatisée...»